la récitation 9 de Georges Aperghis

Publié le par Clément Pic

La récitation 9 de Georges Aperghis

 

Description matérielle de la récitation


D’aspect extérieur, la partition de cette récitation se présente comme une accumulation en 19 lignes qui découpent et font se distinguer les différents éléments de la pièce. On pourrait dire comme Paul Braffort qu’il s’agit d’une boule de neige de longueur 19.1

Ces éléments se regroupent en deux espèces. Celle qui utilise des possibilités de la voix quand elle est véhicule d’un langage et celle qui utilise le souffle de la voix, quand celle-ci est véhicule des mouvements vitaux du corps. La première est elle-même subdivisée en deux : le parlé rythmé et deux motifs de hauteurs absolus. Le parlé rythmé devient par sa mise en perspective avec les hauteurs absolus une ligne de fuite musicale d’un langage en même temps qu’une ligne de fuite linguistique du chant.

On remarque que l’élément « souffle » n’est pas découpé par la présentation de la récitation, de même que l’élément « chant ».

 

Cette récitation a la particularité de proposer un texte cohérent :

 

Parfois je résiste à mon envie parfois je lui cède pourquoi donc ce désir


A l’intérieur duquel s’intercale un court motif où les signes du langage ne renvoie pas à un signifié conforme à ce qu’il semble être :


Vé san tujé

 

Dans l’interprétation de Martine Viard2, l’interprète ajoute à la séquence soufflée qui apparaît à la septième itération sur la partition le texte « mais je ne veux pas ça », ce qui ajoute une « ligne de fuite » linguistique au souffle en même temps qu’un commentaire signifiant sur le texte de la récitation.

 

Description éthique de la récitation

 

Nous avons donc une récitation dont les éléments qui constituent son corps s’articulent du souffle jusqu’au chant, depuis le bruit vocal où la voix n’est pas territorialisée dans le langage, jusqu’à l’extrême déterritorialisation de la voix qu’est la vocalise sans texte. Pur chant a - signifiant du point de vue de la sémantique. Ligne de fuite musical de l’interprète - récitant, depuis le souffle jusqu’à la vocalise, en même temps que ligne de fuite assignifiante de la voix, depuis la vocalise jusqu’au souffle. Le point de rencontre de ces deux territoires, celui musical de la vocalise et celui organique du souffle, ce situe, dans l’interprétation de Martine Viard, dans cet ajout de texte au souffle qui initie le mouvement de l’organe vers le langage. Dans la partition d’Aperghis, ce point de rencontre est le motif au signifié non conforme qui tire l’a- signifiant du souffle vers le signifiant du langage et initie le mouvement d’un indéterminé relatif de l’organe vocal, expiration - inspiration, vers la surdétermination de la voix au travers de la vocalise.

C’est à dire que la séquence de souffle pur est un affect actif du corps organique, puisqu’il l’anime en même temps qu’il est l’idée de cette animation, et que la vocalise est un affect actif du corps interprète – instrument, affect purement musical qui ne se justifie que par la musique et non par le langage.

Topos de la récitation

Par le mouvement de deux affects, l’un du corps organique, l’autre du corps – instrument, l’appareil vocal est déterritorialisé pour se reterritorialiser du langage vers la musique car nous disons avec Deleuze que « la musique, c’est avant tout une déterritorialisation de la voix, qui devient de moins en moins langage(…) »3.

Ainsi, puisque les autres séquences participent du mouvement d’un affect organique vers un affect musical, puisqu’elles sont dans ce mouvement et se conçoivent par ce mouvement, alors, elles sont des manières au sens spinoziste.

 

Par manière, j’entends les affections d’une substance, autrement dit, ce qui est en autre chose, et ce conçoit aussi par cette autre chose.4

 

Ce qui se fait dans cette récitation , c’est le mouvement du corps a - signifiant vers le corps signifiant. Ce mouvement se justifie par lui-même, sans qu’une cause extérieure impose sa conception. Les itérations successives sont une manières de détailler ce mouvement, de détailler « la progressivité dans l’acquisition (…) de ce mouvement »5 », de le déplier. C’est pourquoi cette œuvre peut être posé en analogie à la définition de la substance proposé par Spinoza :


Par substance, j’entends ce qui est en soi, et se conçoit par soit : c’est à dire dont le concept n’a pas besoin du concept d’autre chose, d’où il faille le former.6

 

C’est à dire que l’on pourrait définir cette pièce comme la manifestation dans le temps de la récitation de la puissance de la signification, en tant que substance, qui détient le pouvoir de se représenter elle-même.7 En effet, c’est l’apparition d’un rapport au signifiant (mais je ne veux pas ça, ou vé san tujé selon la référence que l’on choisi) qui introduit le mouvement qui relie les différentes séquences.

1 Paul Braffort, Boules de neiges, in Atlas de Littérature Potentielle, édition folio

2 Georges Aperghis, récitations, Disque Montaigne 782118

3 Deleuze et Guattari, Mille Plateaux, Chapitre 10, devenir – intense, devenir – animal, devenir – imperceptible, p.371, éd. De Minuit

4 Spinoza, Ethique, livre I, De Deo, définition 5.

5 Deleuze, Le Pli, page 10, les éditions de minuit

6 Spinoza, Ethique, livre I, De Deo, définition 3.

7 « Il n’y a pas, pour constituer le langage, ou pour l’animer de l’intérieur, un acte essentielle et primitif de signification, mais seulement, au cœur de la représentation, ce pouvoir qu’elle détient de se représenter elle-même, c’est à dire de s’analyser en se juxtaposant, partie par partie, sous le regard de la réflexion, et de se déléguer elle même dans un substitut qui la prolonge. » Michel Foucault, Les mots et les choses, ed. Gallimard, Chapitre IV, p.92.

Publié dans Analyses

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