Quelques notes sur le nô.

Publié le par Clément Pic

 Le nô prend ce nom en 1868 lors de la réforme Meiji. Auparavant, ce genre théâtral était appelé sarugaku, appellation qui désigne une forme de farce mimée du XIème siècle et qui signifie singerie s’étant développée parallèlement au dengaku. Ces formes musicales étaient jouées par le tambour koshi zutume et une flûte de travail, ils étaient, et surtout le dengaku, les supports de danses et de chant pour le travail à la rizière. Le dengaku sera récupéré par les cours des shôguns qui le transformeront, au cours des siècles, en un art de plus en plus aristocratique.
La tradition du sarugaku se poursuit, perpétré, pratiqué et transmit par des familles d’artistes. Au quatorzième siècle, le shôgun Ashikaga Yoshmitsu (1358 – 1408) nomme le sensei Kannami (1333 ?-1384) responsable des divertissements de la cour. Celui-ci introduit les rythmes du genre kusemai au sein du sarugaku.
La troupe de sensei Kannami comprenait bien sûr son fils, Zeami (1363-1443).

A l’innovation technique de son père, le fils introduira le concept du JOHAKYU. Ce concept développe une vision de l’art théâtral qui n’est pas cantonné à la seule représentation. Le johakyu gouverne autant la structure dramatique que la vie des acteurs.
Jo, c’est le jeu tranquille et sans contrainte rythmique. C’est le nô de divinité et de guerrier, le premier d’une journée de nô, c’est le moment où le second acteur apparaît en scène et présente la situation. C’est enfin la période d’apprentissage de l’acteur qui dure jusqu’à environ 25 ans.
Ha, c’est le jeu avec élégance et à huit temps. C’est le second nô de la journée, celui de femme et de femme folle. Dramatiquement, c’est l’apparition de l’acteur principal sur la scène. Il correspond à la période de maturité de l’acteur quand il est capable d’interpréter des pièces « délicate et plein », de 25 à 40 ans.
Kyu, enfin, C’est la musique légère, le dernier nô de la journée, celui de démon, la seconde partie de la pièce et c’est le dernier âge de la vie, à partir de 40 ans, quand on peut rendre avec légèreté ce qui ne l’est pas, que l’on est au-delà de la simple maîtrise de son art.
De la même manière, il y a trois catégories d’acteurs, mais cette division en trois n’est peut être que la seule similitude avec celle du johakyu.
SHITE c’est l’acteur principal, WAKI c’est l’acteur secondaire et KYÔGEN c’est l’acteur de farce.
 Au court de la leçon, le disciple rencontre le maître qui à lui seul « résume » les différentes parties du jeu musical du nô. De la main gauche, il tient un éventail pour jouer la partie de tambour d’épaule, kosuzumi. De  la main droite, un éventail pour la partie de tambour de hanche, ôsuzumi. Il utilise une boîte pour la partie de tambour à batte, taiko. Mais quand celle ci intervient, il abandonne les deux éventails. L’intensité figurée du tambour à batte suffit donc. La partie de flûte est récitée avec un système solmisation syllabique : O HYA RA RI YA HYAU RA RO.

 Pendant les quinzième et seizième siècles, la période Muromachi (1392 – 1568), le nô est un art vivant particulièrement lié aux shogûns, les chefs de guerre qui régnaient sur les provinces, et de fait sur le Japon, l’empereur étant « protégé » par ceux-ci à Edo.
Au dix-septième siècle, après des années de guerre entre les clans, la dynastie des shoguns Tokugawa s’accapare le pouvoir absolu. Le nô, qui était l’art de la classe sociale dominante et dirigeante en fait mais non pas de celle au pouvoir officiellement, devient l’art et la marque de la classe dirigeante réelle. Le public populaire s’intéresse aux bunraku et au kabuki.
En 1591, Toyomi Hideochi promulgue une loi qui, de fait, va figer le nô et provoquer une première décadence du genre. Cette loi ordonne le recensement par profession et interdit à quiconque d’en changer. Pendant cette période dite période Edo, qui va durer de 1603 jusqu’à la restauration Meiji en 1868, les acteurs et les musiciens du nô sont des artistes officiels, homologués par les Tokugawa. Les militaires au pouvoir prennent des cours de musique, instrument et utai, le chant du nô hors de son contexte théâtral. Le samouraï doit en effet exceller en budo, mais également en poésie en philosophie et en calligraphie.
En 1868, suite à une guerre civile qui déchire le pays, l’empereur reprend le pouvoir et ouvre le Japon à l’Occident. Jusqu’alors, seuls quelques comptoir étaient exceptionnellement accordés à des Portugais ou des Hollandais, les second ayant l’avantage de ne pas faire trop de prosélytisme religieux. Au contact de l’occident , le Japon se « modernise ». L’empereur voulant rétablir sa gloire passée veut remettre en valeur la musique et la danse de cour. Les castes des musiciens aveugles joueurs et enseignant de koto et celle des prêtres fuke, professeur de shakuhachi, perdent leurs privilèges hérités du recensement Hideochi. Le nô, considéré comme l’art des shoguns, n’a plus aucun soutien officiel, les artistes du genre portent avec eux la condamnation de l’ancien pouvoir. Il devient un genre moribond, que des particuliers de la noblesse soutiennent à titre privé. Le nô est joué dans des salles privées, de petites tailles. Un spectacle de nô ne pouvant être montré qu’une seule fois – l’important est de se concentrer les uns par rapport aux autres au moment de la représentation, et de créer quelque chose que l’on ne pourra plus reproduire - les artistes continuant à enseigner leur art et vendant eux-mêmes les billets, le public est constitué d’acteurs ou de futurs acteurs ainsi que du mécène local.
Au XXme siècle, la musique japonaise n’est plus enseignée à l’école au profit de la musique occidentale. Mais en 1909, les seize traités de Zeami sur le nô paraissent, et le genre suscite l’intérêt des intellectuels et de cette manière, bien que théorique, la tradition du nô retrouve un certain écho en dehors du cercle restreint des pratiquants. En, 1931, une classe de nô est ouverte à l’université musicale de Tokyo.

La seconde guerre mondiale à des conséquences dramatiques pour le Japon. De nombreuses personnes meurent lors des combats ou des bombardements américains, et l’hécatombe se poursuit après la fin de la guerre en raison de la famine et du grand état de misère où se trouve la population pendant l’occupation. Les infrastructures du pays sont détruites, Tokyo a brûlé au deux tiers en une seule nuit suite au bombardement ayant servi à tester en grandeur nature les bombes incendiaires au napalm, les îles du sud ont servi de terrain d’essais au bombardier à longue portée, Hiroshima, Nagasaki et leurs populations respectives sont détruit coup sur coup par deux bombes atomiques.
Le Japon a ressenti une grande culpabilité à l’égard du régime impérial en raison des crimes de guerre commis par les militaires. Il aurait put être à craindre qu’un phénomène de « table rase » vienne balayer les fragiles prémices d’une restauration du nô. Heureusement, cela n’a pas été le cas, on pourrait dire que le Japon a sublimé le traumatisme par la création eut égard à l’intense créativité de ce pays depuis la fin de la guerre. En 1952, une classe de nô est ouverte à l’université des arts et musique de Tokyo, en 1972, l’université féminine de Musashino inaugure un centre de documentation ouvert aux études de nô. Et surtout, les écoles emmènent les enfants voir des spectacles de nô. Familiarisant ainsi les plus jeunes avec un art difficile et les mettant en contact avec leur culture. En 1950, la renaissance du nô est concrétisée par la fondation du nogaku runessansu no kai (littéralement association de renaissance du nô). Cette association a pour but de pallier aux conséquences de la guerre. Un nouveau genre de nô apparaît, celui-ci n’étant plus la simple répétition d’un répertoire de 200 pièces des quatorzième et seizième siècle et redevenant un art vraiment vivant et fécond. Le nouveau genre s’appelle shinsaku nô. L’un de ces représentants, Yoko Michi Mario écrit Taka no izumi (la source des faucons) d’après un poète irlandais. Sans doute en hommage à Yeats qui, après avoir découvert le nô au début du siècle à écrit « trois nôs irlandais » en s’inspirant de la structure dramatique du nô japonais.
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