Helmut Lachenman, für Caudwell. 1

Publié le par Clément Pic

Helmut Lachenmann, Für Caudwell.
Ce dont on ne peut parler, il faut le travailler.1

Eléments biographiques.

Helmutt Lachenmann est né le 27 Novembre 1935 à Stuttgart. Son père est un pasteur, il gardera de cette filiation une grande rigueur morale qu'il affirmera musicalement. . En 1957, il fait la rencontre, aux cours d'été de Darmstadt de Luigi Nono auprès duquel il étudiera la composition de 1958 à 1960. En 1962, il se présente pour la première fois au public lors des stages internationaux de musique contemporaine de Darmstadt dont il deviendra coordinateur de l'atelier de composition en 1972. Mais c'est à la fin des années 60 qu'il se fait vraiment connaitre avec Notturno, pour violoncelle et orchestre (1968) et Air pour grand orchestre et percussions solo. Les années 1970 voient la créationde Pression pour violoncelle (1969/1970), Dal niente pour clarinette solo (1970), Guero pour piano solo (1970), Kontradenz pour grand orchestre (1971), Klangschattten – mein Saitenspiel pour orchestre à cordes et trois pianos (1972), Fassade pour grand orchestre (1973), Schwankungen am Rand pour cuivres et cordes (1974/1975) et Accanto pour clarinettiste solo et orchestre (1975). C'est avec la pièce Air que se forge le concept d'une « musique concrète instrumentale » s'inspirant et adaptant aux instruments traditionnels de la musique savante occidentale celui de Pierre Schaeffer. Il s'agit de traiter « le son comme résultat caractéristique et comme signal de sa production mécanique, et d'une façon plus ou moins économique, de son énergie interne » (cité par Nonnenmann [2000], p.21, these de fabien lévy, p.150).Sa carrière est particulièrement marquée par l'enseignement de la composition et l'animation de nombreux séminaires et ateliers.

Pour Lachenmann, l'artiste porte une responsabilité face à l'histoire. La dissidence de celui-ci est d'ordre esthétique. Il s'agit de détourner l'héritage culturel musical dans ses manifestations instrumentales: le quatuor à cordes, le concerto, l'orchestre, ses manifestations mélodiques en détournant et déconstruisant un air qui devient alors méconnaissable.

Ainsi, en va t-il dans Tanzsuite mit Deutschlandlied (1979/1980) pour l’hymne allemand, une chanson enfantine, Lieber Augustin, et la Sicilienne de l’oratorio de Noël de Bach.

Lachenmann et la voix.

Le recours à la voix dans les oeuvres d'Helmut Lachenmann n'apparait pas comme un choix constant. Dans son catalogue, cinq pièces font appel à un ou plusieurs chanteurs ou récitant : le cycle des Consolations pour choeur (Consolation I, 1967, Consolation II, 1968, Les Consolations, 1967/68-1977/78), temA (1968), Das Mädchen mit den Schwefelhölzern (1977, révision de 1990 à 1996),« ... Zwei Gefühle... », Dritte Stimme zu J.S Bachs zweistimmiger Invention d-moll BWV 775 (1986) et Musik mit Leonardo (1992). Cinq œuvres sur un total de quarante et une, quarante-sept si l'on compte celles dont l'exécution n'est pas permise, dont trois pour la seule année 1968 dans une production qui débute en 1959 avec Souvenirs pour 41 musiciens. Lachenmann confie ne pas pouvoir « vraiment écrire de la musique chantée sur un texte. »2 Une voix qui chante suppose pour lui une « élévation emphatique » qu'il est difficile de marier avec sa technique de « musique concrète instrumentale »; « une musique conçu comme l'expérience de la naissance des sons3 ». Le chant est « comme une citation d'un monde encore intact » dans une musique qui depuis Mahler et Schoenberg a perdu « l'innocence de la communication ». « En musique, la parole est le langage corporel de l'esprit, à travers l'action du compositeur. »4

Dans temA (1968) pour flûte, voix et violoncelle, la voix utilise un répertoire de modes de souffles, comme pourra le faire à la même époque Dieter Schnebbel.

Une sémantique du signal sonore

Lachenmann porte attention à l'observation acoustique et non, ou pas seulement, à la sémantique. Il dissèque la production sonore: « Le récitant, comme les autres sources sonores, fournit des signaux acoustiques, phonétiques, offrant la possibilité d'une expérience structurelle en même temps qu'une information sémantique ». Cette attitude disjoint deux expériences. L'expérience sonore, de la matière sonore et l'expérience de la signification qui est détruite et montrée tout à la fois. C'est ainsi que des objets sonores vocaux et des objets sonores instrumentaux peuvent se retrouver ensemble dans un même classification nouvelle. Pour cette palette de sonorités originale, résultant du détournement de l'utilisation traditionnelle des instruments, Lachenmann doit détourner à son tour le système de notation. De ce système, Fabien Lévy nous dit que« L'axe temporel et les notations rythmique et dynamique sont préservés, mais les signes conventionnels de hauteurs font place à un système de signes propres commenté en page préliminaire de la partition. [...] Le résultat ne prend pas en compte l’inconfort de lecture pour l’interprète, qui ne présente que peu d’intérêt pour Lachenmann, à part, à la rigueur, un rôle politique annexe.5 » Sur ce dernier point, nous ne soutiendrons pas la proposition de Fabien Lévy réduisant la fonction politique de la notation à une dimension annexe.

Il établit « des familles, par exemple de sons discontinus (répétition, trille, r roulé à l'italienne, grande pression d'archet), de sifflantes (trémolo sur cymbales, frottis de polystyrène, chuchotis) ou encore dont la hauteur est soit reconnaissable, soit à moitié voilée, soit entièrement avalée par la composante de bruit. Il peut ainsi établir une grille et un réseau temporel, qui fixe l'apparition et la combinaison des différents membres de ces familles. »6

Lachenmann appelle les membres de ces familles les « moyens ».

Par « moyens », j'entends tout d'abord le matériau musical au sens étroit, cet instrumentarium préformé, régi par la société, fait de sonorités, de structures sonores, de structures temporelles, de sources sonores, d'instruments au sens restreint et au sens large donc, avec leur techniques de jeu, leur notations et leur traditions d'interprétation, jusqu'aux institutions même et leurs rituels de transmission – tout ce mobilier musical que le compositeur ne trouve pas seulement autour de lui, mais en lui-même, bref, ce monstre tentaculaire qui enserre et englouti tout et que j'ai appelé ailleurs « l'appareil esthétique ». (Je me représente toujours le monde bourgeois en son entier comme un village, et la musique comme l'orgue sur la place du village et à tour de rôle les musiciens se mettent à jouer, aujourd'hui Pierre Boulez, demain Wolfgang Rihm, après-demain Brian Ferneyhough, puis György Ligeti, etc., et les habitants les regardent ébahis tout en vérifiant que leur orgue fonctionne bien).7

Dans cette description des moyens, qui est une explication de l'énoncé « composer veut dire: « réfléchir sur les moyens », Lachenmann plante la figure du musicien au milieu d'un village. Ce musicien est d'ailleurs exclusivement un compositeur. Dans la relation qui s'établit entre le musicien et l'habitant du village, il y a une forme de provocation, provocation à « vérifier que leur orgue fonctionne bien ». Le rôle du musicien serait de déclencher un regard ou une écoute critique sur ce qui est préformé et régi par la société. Dans quel « appareil esthétique » vivons-nous? Doit se demander le villageois, c'est à dire: que me donne-t-on à percevoir? Quel est ce décalage entre ce qui m'est donné de percevoir par mon ancrage social et ce que cette personne me donne à percevoir?

Plus précisément, chez Lachenmannn: que me donne t-on à observer? Pourquoi y a t-il ce décalage? Le musicien de Lachenmann est une avant-garde à lui tout seul, il est étranger au village où il officie et c'est lui qui créé l'évènement qui provoque la réflexion.

Il utilise l'orgue de la place publique, la machine commune, celle autour de laquelle on se réunit pour une pratique commune. Ce qui fait naitre l'évènement que créé le musicien, c'est l'utilisation détournée de la machine collective. Finalement, on arrive à une sorte de distanciation toute brechtienne où l'artiste se doit d'être à la source d'une prise de conscience de classe.




1Lachenmann, Helmut, « De la composition », p.242, in L'Idée Musicale, p.225-242, sous la direction de Bucci-Glucksmann et Michaël Lévinas, Presses Universitaires de Vincennes, Saint Denis, 1993, 242 pages.

2Brindeau, Véronique, Entretien avec « Helmut Lachenmann », in Accents, le journal de l'ensemble intercontemporain, numéro 10, Janvier-Mars 2000, 9 pages, Ensemble Intercontemporain, Paris, 2000, p. 6-7.

3Lachenmann, Helmut, Ecouter signifie penser autrement, in « Musica Falsa » automne 2004, n.20, p.21-24, prpos receuilli par Klaus Zehelein et Hans Thomalla, Juin 2001, trad. Kaltenecker, Martin.

4Lachenmann, Helmut, « De la composition », p. 234, in L'Idée Musicale, p. 225-242, sous la direction de Buci-Glucksmann et Michaël Lévinas, Presses Universitaires de Vincennes, Saint Denis, 1993, 242 pages.

5Lévy, Fabien, Complexité grammatologique et complexité aperceptive en musique, sous la direction de Jean-Marc Chouvel, thèse de doctorat, de l'Ecole des Hautes Etudes en Science Sociale, Paris, 2004, p.150.

6Kaltenecker, Martin, « Perspective Lachenmann », in Musica Falsa n.17, hiver 2003, 136 pages, Musica Falsa, Paris, 2003, p. 123.

7Lachenmann, Helmut, « De la composition », p. 227, in L'Idée Musicale, p. 225-242, sous la direction de Buci-Glucksmann et Michaël Lévinas, Presses Universitaires de Vincennes, Saint Denis, 1993, 242 pages.

Publié dans Analyses

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