Giacomo Manzoni, Suite Robespierre. 1

Publié le par Clément Pic

Giacomo Manzoni a hésité entre plusieurs carrières, celle de musicien, de mathématicien et celle de linguiste. Il était plus particulièrement intéressé par les langues de l'antiquité. Son attention se porte sur les modifications de la langue dans l'histoire, conditionnées par des faits historiques ou par la pathologie.

Par la richesse de ses possibilité, la vocalité exerce une forte attraction sur Manzoni. Tant par son aspects mélodiques que par la richesse des timbres qu'elle recèle au sein du travail sur les masses chorales. Le point de départ est toujours le texte, de Hölderlin ou de Beckett, de Dante ou de Robespierre, et ce texte guide le compositeur dans son cheminement avec son matériau. Mais il est un moment où le texte n'est plus le chemin à travers le matériau mais la matière qui constitue une partie du cheminement musical. Le texte est transformé « en quelque chose d'autre » et « n'existe plus en soi1 ». La parole devient pur timbre et le texte « ne revit que par ses capacités internes de communication, d'expression et de signe ».

Il lie l'histoire de l'exploration de la vocalité et l'émergence de la nouvelle vocalité à l'histoire de la lutte contre l'impérialisme, la fin des colonies et les luttes de libérations:

« Aujourd'hui nous procédons peu à peu à la découvertes de mondes sonores que nous ignorions presque jusqu'à présent, et dans le processus visant à libérer des liens colonialistes et impérialistes nombre de zones de l'hémisphère, les cultures de tous les pays (africains, asiatiques, américains) ne cessent d'apporter une contribution de plus en plus essentielle à la vision du musicien. Simultanément, la connaissance de plus en plus approfondie du chant populaire, les possibilités d'analyse du son infiniment perfectionnées grâce aux instruments électroniques dont nous parlions mettent en lumière des problèmes, des techniques et des possibilités qui, d'une manière ou d'une autre, influencent l'invention musicale à un autre niveau. Cette constatation vaut surtout pour le chant et pour les modes d'émissions qui s'enrichissent énormément grâce à la connaissance des caractères vocaux des peuples les plus disparates du monde entier2. »

 

 

Le 13 octobre 1960, est créé La Sentenza qui traite de la résistance chinoise contre l'occupation japonaise et l'avènement d'une justice basé sur de nouveaux principes. Cette pièce utilise une écriture redevable au sérialisme. Avec Atomtod, coposé en 1964-1965, l'attention de Manzoni se porte sur la menace nucléaire. A la même époque, la construction et la vente de refuge anti-atomique est lançé à grand renfort de campagne publicitaire. Les notables milanais et l'Église tenteront de faire interdire l'œuvre. L'arme nucléaire y est décrite comme un processus identique à celui de l'univers concentrationnaire dont le seul aboutissement est la mort. Dans cette œuvre, Manzonni expose par une régression chronologique des langages musicaux du prologue (Jazz, aria à l'italienne, grégoriens) le symbole d'une téléologie régressive de la société capitaliste « dont les perspectives de vie mènent à la mort généralisé3 ». L'image de la mort que se donne l'humanité dans la bombe rejoint les préoccupation sur la folie et le suicide qui habite Manzoni: « Quand au mystère du suicide, à l'exception de cas pathologiques déclarés, nous sommes vraiment face à l'interrogation extrême destinée à rester sans réponse. Ici, la musique peut justement donner voix, avec d'autres moyens que les moyens verbaux, impuissants, au parcours intérieur qui conduit à ce choix4. »

Si la recherche sur le langage musical est moins importante que dans la sentenza, c'est que cette fois-ci, l'intérêt du compositeur s'est porté sur la conception du texte qui n'est plus une narration. A partir de Atomtod, le matériau parlé devient de centre d'intérêt vocale de Manzoni. Le texte « devient un moment structurant de la musique5 ». S'il préserve les connotations sémantiques du texte, en dépassant le problème de sa simple compréhension à partir d'un travail sur les propriétés phonétiques du langage, celui-ci est le plus souvent incompréhensible directement. La composition ne tisse pas une dialectique entre ses nécessités et les nécessités du langage, au contraire elle « fait sienne » les propriétés du langage qui deviennent constitutives du sens et et des nécessités compositionnelles. Loin d'une subordination du langage à la musique ou de la musique au langage, comme cela est le cas dans les musiques des langues à tons, l'un et l'autre s'intègre pour faire naître une nouvelle activité créatrice.

 

La pensée de Adorno est en Italie, d'une importance cruciale. Giacomo Manzoni relève que, entre 1959 et 1973, son œuvre a été diffusé de manière remarquablement plus systématique en Italie qu'ailleurs. L'œuvre d'Adorno avec ses différentes facettes, philosophique, sociologique, critique, musical ou littéraire, a réconciliés les intellectuels italiens et la musique. Manzoni remarque en effet que des noms qui ont marqué la vie intellectuel et la musique (Nietzsche,Shopenhauer, Kierkegaard, Tolstoï, Proust, Gide ou Mann) aucun n'est italien. C'est grâce à l'influence des écrits dAdorno que les intellectuels Italiens se seraient remis a considérer la musique comme un élément « constitutif de la culture6 ».

 

En 1968, il écrit Ombre alla memoria di che guevara.

Dans celle-ci, « le choeur devient pur et simple matériau sonore […]: mais je ne saurais dire si, au fond, cette désarticulation traduit une incapacité de la langue à trouver les mots appropriés pour exprimer un douloureux vide intérieur7 » « Il n'y a même pas de texte signifiant et le verbe viebnt de la masse des voix, triturée en phonème, murmures et cris.8 »

L'œuvre ne veut pas porter un programme ou un manifeste, elle veut refléter la faillite des programme politique. La faillite particulière du che est lié à sa nature, reprenant le discours de Fidel Castro du 15 Octobre 1968, Manzonni souhaite lier son Ombre à cette destinée: « Nous aurions aimé par dessus tout le voir forger des victoires, plutôt que de les anoncer. Mais un homme de ce tempérament […] serait malheureusement appelé à annoncer plutôt qu'à forger ces victoires. Et évidemment, ceux qui annoncent les victoires les forgent aussi, ils sont parmi les plus grands9. »

 

En 1974, il compose l'opéra Per massimiliano Robespierre. Cette création est à  mettre en parallele avec celle de Nono Al gran sole carico d'amore (1972-1974).

L'œuvre est un « parcours d'énoncés » interrompu par des « flash » de rappel de la réalité historique.

Le texte est constitué de:

  1. textes de Robespierre (articles, lettres, pièces poétiques et discours).

  2. Textes postérieurs littéraire confiant des interventions à Robespierre (Büchner, Rolland, Anouilh) ou dans lequel il est pris dans la situation narrative ou poétique ( France, Heine, Zardi).

  3. Citations de contemporains, depuis des phrases de la rue à des citations des mémoire de sa soeur Charlotte.

  4. Textes historiques.

  5. Des jugemenst émis sur Robespierre.

  6. Du texte de Puecher.

La pièce est non narrative. Elle expose des actes de langages. Elle porte les traces des expériences de la période compositionnelle ouverte dans les années 60 et conclue par Atomtod qui procède par masse, bloc et travail de matière, mais « enrichie de rapport nouveau entre les durées, sur la vocalité et sur l'aléa.10 »

En 1976, Manzoni tire de cet opéra la Suite Robespierre.

 



1Manzoni, Giacomo, entretien avec Paola Carbone, in Manzoni, Giacomo, Écrits, trad. Laurent Feneyrou, p. 333-340, éditions Basalte. Paris, 2006, p.336.

2Manzoni, Giacomo, la barrière du demi-ton, in Manzoni, Giacomo, Écrits, trad. Laurent Feneyrou, p. 423-429, éditions Basalte. Paris, 2006, p.427

3Pestalozza, Luigi, « Manzoni: il teatro como punto d'arrivo », (1989) reprint in Per Giacomo Manzoni, Lucca, Libreria Musicale Italiana, 2002, p.295, cité in « Problèmes du nouveau théâtre musical », in Manzoni, Giacomo, Écrits, trad. Laurent Feneyrou, p. 365-378, éditions Basalte. Paris, 2006, p.367.

4Manzoni, Giacomo, Penser le théâtre musical aujourd'hui, in Manzoni, Giacomo, Écrits, trad. Laurent Feneyrou, p. 395-403, éditions Basalte. Paris, 2006, p.402

5Manzoni, Giacomo, Parole comme musique, in Manzoni, Giacomo, Écrits, trad. Laurent Feneyrou, p. 439-444, éditions Basalte. Paris, 2006, p.442.

6Manzoni, Giacomo, La leçon d'Adorno à l'époque de la néo-avant garde, in Ecrits, p.225.

7Manzoni, Giacomo, note de programme pour Ombre, cité in Où va l musique moderne? p.290., in Manzoni, Giacomo, Écrits, trad. Laurent Feneyrou, p. 287-298, éditions Basalte. Paris, 2006.

8Manzoni, Giacomo, musique pour le Che, in Manzoni, Giacomo, Écrits, trad. Laurent Feneyrou, p. 299-29301, éditions Basalte. Paris, 2006, p.299.

9Castro Fidel « Discours du 15 ocobre 1967 », in Oraison funêbre pour Che Guevara, Paris, Le Terrain Vague, 1968, p.34, cité in Manzoni, Giacomo, Écrits, p.300.

10Manzoni, Giacomo, entretien avec Paola Carbone, in Manzoni, Giacomo, Écrits, trad. Laurent Feneyrou, p. 333-340, éditions Basalte. Paris, 2006, p.335.

11Manzoni, Giacomo, Luigi Nono, p. 174, in Manzoni, Giacomo, Écrits, trad. Laurent Feneyrou, p. 171-180, éditions Basalte. Paris, 2006.

12Manzoni, Giacomo, Luigi Nono, p.175, in Manzoni, Giacomo, Ecrits, trad. Laurent feneyrou, p.171-180, éditions Basaltes, Paris, 2006.

Publié dans Analyses

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