Les psaumes: une présentation.

Publié le par Clément Pic

1 Les conditions d’apparitions
Quand le christianisme arrive en Europe, il se présente à la rencontre d’un monde déjà multiculturel.

1.1 Etat de l’Empire romain

1.1.1 Frontières
    Depuis Rome, l’Empire s’est lancé à la conquête du monde qui jouxte le bassin méditerranéen. A la mort de l’empereur Auguste, le 10 août 14 après J.C, l’empire s’étend, à l’occident, depuis l’océan Atlantique jusqu’au Rhin et au Danube, au Nord, l’Euphrate, à l’Orient, l’Arabie et le désert du Sahara forment la frontière du sud.
    Les premiers Césars conservèrent et préservèrent ces frontières que matérialisaient des barrières naturelles. Le sud de l’Angleterre, après une guerre de quarante ans fut conquis par les romains qui, afin de pallier à l’absence de frontière naturelle et pour protéger leur nouvelle conquête des attaques des insulaires du nord, bâtirent le mur dit « mur d’Antonin », du nom de l’empereur qui a ordonné la construction de ce rempart monumental, Antonin, mort en 161 qui est encore en partie visible aujourd’hui.
    L’empereur Trajan ajouta aux conquêtes d’Auguste la Dacie. Il tenta également de s’emparer du territoire Parthes. Mais, à la mort de Trajan, (empereur de 99 à 117), ces nouveaux territoires retrouvèrent leur autonomie.
1.1.2 Des cultes, de la philosophie et de l’éducation

    Les différents cultes admis dans l’empire étaient considérés à égalité. C’est à dire que la tolérance religieuse était la norme, chaque pays conquis pouvait continuer à exercer son culte en toute liberté. L’une des seules exceptions fut la Gaule, sous prétexte d’abolir les sacrifices humains, l’Empire détruisit en fait l’autorité des druides qui lui faisait de l’ombre.
    A Rome même, en raison du cosmopolitisme, les différents cultes de l’Empire avaient leur temple. Bien sur, certains cultes connurent une interdiction partielle ou totale pendant des périodes limités. Le temple d’Isis construit en -43 fut détruit en 19, sous le règne de Tibère en raison du scandale provoqué par l’un de ses prêtres. Mais les faits sont là et des divinités comme Isis, déesse Egyptienne, femme d’Osiris et mère d’Horus, eurent malgré tout leur temple à Rome. Selon le culte d’Isis, chaque être vivant à en lui une goutte de son sang. C’est la déesse de l’initiation, de la mort et de la résurrection. Ses pouvoirs sont symbolisés par la croix à anse et le nœud d’Isis. Elle incarne le principe féminin. Sa figure symbolique répond -en partie seulement- à celle de Lilith, qui, selon la tradition kabbalistique, est la première femme d’Adam.
    Créé avant Eve, non pas de la côte d’Adam, mais de la même Terre, Lilith se dispute avec Adam sur leur égalité, elle disant que tout deux sont égaux, lui que non. Lilith en colère prononce le nom de Dieu et s’enfuit pour commencer une carrière démoniaque.
    De la même manière, Isis aurait volé le nom véritable du Dieu suprême, Ré. Mais contrairement à Lilith, elle ne commence pas une carrière démoniaque.
    Le panthéon romain hérite du panthéon grec, les noms sont transformés, Zeus devient Jupiter par exemple.
    L’enseignement, à Rome, est fourni par des esclaves. Les meilleures étant les Grecs qui introduisirent des éléments de théories musicales, leur tradition tragique et leur philosophie à Rome.
    C'est pour toute ces raisons qu'il est certainement plus juste de parler de l'empire gréco-romain que de l'empire romain. Et cela d'autant plus que si dans sa moitié occidentale on parlait latin, autour de la méditéranée orientale et au Proche-Orient, c'est le grec qui était parlé.
    Les philosophes romains se distingueraient en quatre grandes familles, les stoïciens et les platoniciens un peu plus « religieuse » et les épicuriens et les académiciens, moins « religieuse ».
    C’est à la rencontre de la pensée platonicienne, et plus précisément néo-platonicienne, que le christianisme va se développer.

1.2 Héritages musicaux, quelques mythes


    Il est impossible de tout dire d’une culture en quelques lignes, nous allons présenter, brièvement, l’héritage judaïque et l’héritage grecs.
    Dom Morin, dans sa méthode de chant grégorien, commence par dire :
L’Eglise est l’héritière de la Synagogue, elle-même pénétrée par l’art grec.1
1.2.1 Judaïsme
    Le christianisme a pris naissance en Palestine, alors occupé par les romains. Les premiers chrétiens chantaient des psaumes et des hymnes, il est donc plus que probable que la musique de ces textes également utilisé dans le rituel exécuté dans les synagogues a été la même et cela d’autant plus que le rituel chrétien se voulait une réforme de ce rituel synagogal, les premiers penseurs voulaient un « nouveau cantique Lévitique ». Ecrire de nouvelles mélodies sur des textes déjà existant, cela suppose que la musique était indépendante des textes et que plus ou moins n’importe qu’elle musique pouvait convenir aux textes. Or, l’idée d’autonomie de la musique comme mélodie sans texte est alors inconcevable. La musique tient autant dans le texte que la mélodie. Le chant est l’harmonisation par la pratique des ces deux éléments dans un même corps qui les réunit.
    La tradition Judaïque consiste en une cantilation des textes saints. La liturgie synagogale est entièrement chantée, de même, probablement, que les prédications, sans doute réalisés avec l’accompagnement d’instruments de musique :
Ensuite, tu arriveras à Gibéa de Dieu (où se trouve le préfet des philistins) et, à l’entrée de la ville, tu te heurteras à une troupe de prophète descendant du haut lieu, précédés de la harpe, du tambourin, de la flûte et de la cithare, et ils seront en délire. Alors l’esprit de Yahvé fondra sur toi, tu entreras en délire avec eux et tu seras changé en un autre homme.2

    La cantilation des psaumes à elle été fixé, tardivement, par les Massorètes autour du VIIe siècle de l’ère chrétienne. Bien sûr, ils ne l’ont pas créé, mais en la fixant, ils ont, au moins, voulu préserver un répertoire déjà existant. Hormis cette exception, l’écriture de la musique est, dans le monde, une exception, la transmission du chant des psaumes se fait oralement.
1.2.2 Grèce

    Les penseurs grecs ont élaboré une pensée harmonique. L’harmonique, c’est l’étude des modes, les « gammes » avec lesquelles on fait la musique. C’est l’ensemble des notes utilisé pour chanter une pièce et cet ensemble est organisé autour de notes plus importantes autour desquelles gravitent d’autres notes. Imaginez un peu comme un système solaire, il y a une étoile au milieu, c’est l’équivalent de la note la plus importante et autour d’elle tournent d’autre planête-note d’importance un peu moindre autour desquelles, à nouveau, d’autres satellittes-notes tournent.
    Ce n’est pas par hasard que j’ai fait cette comparaison. La Grèce lègue une philosophie très riche et une manière de décrire le monde qui l’associe à la musique, c’est ce qu’on appelle l’harmonie des sphères.
    Cette théorie va traverser tout le monde médiéval, il faudra attendre Descartes et son compendium musicae pour que la théorie musicale ne se fasse plus en fonction des spéculations que l’on fait sur l’harmonie du monde.
    Expliquer la théorie de l’harmonie des sphères est quelque chose qui dépasse aussi le cadre de cet exposé. Pour faire bref, trop bref, je dirais simplement que cette vision et cette compréhension du monde sont attribué à Pythagore.
    Le Beau est associé au nombre 1, à une unité qui peut-être celle de la taille d’une corde en vibration. Cette corde donne une note. On trouve les autres notes en raccourcissant la longueur de la corde selon certaines proportions, au milieu ou au deux tiers par exemple.
    Les pythagoriciens, puis les platoniciens et jusqu’aux théologiens chrétiens, tentent de décrire le monde grâce à ses nombres.
    Les liturgies chrétiennes reprennent les modes grecs, avec leurs justifications théoriques, et la théorie de la musique liturgique voudra toujours se placer dans la filiation des « anciens », les interprétant parfois de travers, associant aux gammes du 8e siècle le nom des gammes du 2e siècle alors même que celle-ci ne sont plus les mêmes.
1.2.3 Mythes
1.2.3.1 Exemple de la musique des sphères

    L’interprétation de la théorie de la musique des sphères poussera certains théoriciens à associer des jours de la semaine à des planètes et des planètes aux notes.
LA/RE/SOL/DO/FA/SIb/MI(b)
SOLEIL/LUNE/MARS/MERCURE/JUPITER/VENUS/SATURNE

1.2.3.2 Orphée et David
    Orphée est un personnage de la mythologie gréco-romaine. C’est un habitant de Thrace qui joue de la lyre. Sa femme, Eurydice, est tuée par la piqûre d’un serpent. Orphée est désespéré, il veut "revoir sa bien-aimée". Il descend donc aux enfers pour aller la rechercher. Mais à une seule condition : il ne doit pas se retourner pour regarder le visage de sa femme avant dêtre sortit des enfers. Orphée a un don, il charme les animaux avec sa lyre et son chant. C’est ainsi qu’il peut parcourir les enfers, éloignant les monstres grâce au pouvoir de la musique. Il retrouve Eurydice et, ensemble, ils ressortent. Selon les versions, il se retourne avant la fin, perd Eurydice et meurt déchiqueté par les ménades ou bien il parvient à sortir.
    Ce mythe montre l’ambiguïté de la musique. Grâce à la parole, Orphée chante, les passions sont dirigées, on peu s’aventurer au plus profond de la béance et y retrouver son amour, les monstres symbolisent les passions de l’âme que la musique dirige. Mais la musique peut charmer les oreilles et amollir l’âme. Orphée se détourne du chant et de l’harmonie, il préfère la concupiscence à la sagesse et meurt déchiqueté.
    Ce mythe est repris par les premiers penseurs chrétiens. Mais il convient pour eux de le transformer à cause de ses origines païennes. A la place, Clément d’Alexandrie (env.145/220) parle d’un sage de Thrace qui dompte les animaux et évoque la figure de David et des psaumes ; Mais comme le christiannisme n’est pas le judaïsme, il faut un nouveau David pour un nouveau cantique lévitique.
    David est un roi en devenir choisit par Dieu. Tout comme Orphée, c’est un berger. Il entre au service de Saül pour apaiser son esprit des terreurs.
L’esprit de Yahvé s’était retiré de Saül et un mauvais esprit, venant de Yahvé, lui causait des terreurs. Alors les serviteurs de Saül lui dirent : « Voici qu’un mauvais esprit de Dieu te cause des terreurs. Que notre seigneur en donne l’ordre et les serviteurs qui t’assistent chercheront un homme qui sache jouer de la cythare : quand un mauvais esprit de Dieu t’assaillira, il en jouera et tu iras mieux. » L’un des serviteurs prit la parole et dit : « J’ai vu un fils de Jessé, le Bethléémite ; il sait jouer, et c’est un vaillant, un homme de guerre, il parle bien, il est beau et Yahvé est avec lui. » (…) David arriva auprès de Saül et se mit à son service. Saül se prit d’une grande affection pour lui et David devint son écuyer. Saül envoya dire à Jessé : "Que David reste donc à mon service, car il a gagné ma bienveillance. » Ainsi, chaque fois que l’esprit de Dieu assaillait Saül, David prenait la cythare et il en jouait ; alors Saül se calmait, il allait mieux et le mauvais esprit s’écartait de lui.3

    David joue de la cythare, il peut donc chanter. L’instrument sert à accompagner son chant. C’est donc le chant qui a la propriété d’apaiser l’âme, une musique qui est porté par un texte et le souligne, lui permettant, par ses mouvements propres, de corriger les mouvements déficients de l’âme. On suppose en effet que l’âme et le monde se meuvent selon les mêmes lois et que ces lois se comprennent par la théorie musicale (la théorie de la musique des sphères que j’évoquais tout à l’heure).

1.3 Les psaumes

1.3.1 La psalmodie, un nouveau cantique Lévitique
1.3.1.1 Nouveau David

    Le nouveau David, ce sera le chantre qui porte le chant de la communauté et la guidera. Ce nouveau chantre sera le médium entre Dieu et les hommes. Clément rejoint ainsi la pensée de Platon dans son dialogue Ion qui expose que le musicien est un intermédiaire, un chaînon ente les muses et les hommes. Il est inspiré par la divinité qui lui dicte ce qu’il fait. L’interprétation doit refléter cette médiation par l’humilité de l’interprète. Cette humilité se traduit par l’anonymat, c’est pourquoi nous ne connaissons rien des auteurs de la musique des premiers siècles. Pour Saint Clément, tout comme St Augustin ou St Cassiodore, l’instrument de David, instrument à cordes représente les choses spirituelles.
1.3.1.2 Nouveau cantique Lévitique

    Le second livre de Samuel nous dit que pour remercier Dieu de « l’avoir délivré de tous ses ennemis et de la main de Saül », il écrivit un cantique. Ce cantique est une action de grâce qui contient en même temps une supplique vers Dieu par le moyen du récit de la rencontre entre lui et le priant.
    La tribu de Lévi est la tribu qui, dans le Deutéronome, est chargé de servir Dieu :
Yahvé mit alors à part la tribu de Lévi, pour porter l’arche d’alliance de Yahvé, se tenir en présence de Yahvé, le servir et bénir en son nom jusqu’à ce jour. Aussi n’y eut il pas pour Lévi de part d’héritage avec ses frères : c’est Yahvé qui est son héritage, comme Yahvé ton Dieu le lui a dit.4

2. Une brève histoire des psaumes

2.1. Eglise primitive

2.1.1. Le corpus, sa place dans l’office

    Il y a 150 Psaumes que la tradition attribue à David ou à Salomon. Ces Psaumes sont le matériau de base de la prière que l’on pratique dans les communautés monastiques. La totalité des Psaumes étant chantée chaque semaine au cours des différents offices de la journée. C’est saint Benoit qui a fixé les heures des offices ainsi que le nombre de psaumes à chanter à chacun d’eux :
1.Matines
2.Laudes
3.Prime
4.Tierce
5.Sexte
6.None
7.Vêpres
8.Complies

    Les moines récitent la totalité des psaumes au cours de la semaine. Les offices consistent en un chant continuent qui prend différentes formes. Le style psalmodique, avec une corde de récitation, le style syllabique, une note pour une syllabe, le style semi-orné, on fait parfois plusieurs notes pour une syllabe, et le style orné où l’on déroule des vocalises.
Extraits de la règle de Saint Benoît
Chapitre XVI de la distribution de l’office divin au cours de la journée
Comme l'a marqué le Prophète : "Sept fois le jour j'ai chanté Ta louange", il nous faut, pour atteindre le septénaire sacré du service divin, en accomplir la tâche aux Heures de Matines, Prime, Tierce, Sexte, None, Vêpres et Complies. C'est en effet à ces Heures diurnes que s'applique la parole du Prophète : "Sept fois le jour j ai chanté Tes louanges", puisque, concernant les Vigiles nocturnes, il dit en un autre endroit : "Je me levais au milieu de la nuit pour Te rendre grâces."  Louons donc notre Créateur de ses jugements et de sa justice à tous ces moments de la journée, c'est-à-dire, à Matines, Prime, Tierce, Sexte, None, Vêpres, Complies, sans compter qu'au milieu de la nuit nous nous lèverons encore pour chanter ses louanges
Chapitre XVII des psaumes à répartir en ces mêmes heures
Maintenant que nous avons distribué la psalmodie des Nocturnes et des Matines, passons à celle des autres Heures.
A Prime, on dira trois psaumes, avec le Gloria à la fin de chacun des trois. Cette Heure a son hymne propre qui suit le verset Deus in adjutorium et précède les psaumes. Ces trois psaumes terminés, on récite une leçon, le verset, le Kyrie eleison, et les prières finales.
A Tierce, Sexte et None, l'œuvre de la Prière se célébrera de la même manière : le verset Deus, l'hymne propre à chaque Heure, trois psaumes, la leçon, le verset, le Kyrie eleison et les prières finales.
Si la communauté est nombreuse, on intercalera des antiennes ; sinon, on psalmodiera tout d'un trait.
L'office de Vêpres se compose de quatre psaumes avec antiennes. Après ces psaumes, on récite une leçon, puis un répons, l'ambrosien, le verset, le cantique de l'Evangile, la litanie, l'Oraison dominicale, enfin les prières de conclusion.
Aux Complies, on chante trois psaumes selon le mode direct, et sans antienne ; puis l'hymne propre à cette Heure, une leçon, le verset, le Kyrie eleison, et sur les prières de la bénédiction on donnera le congé.
Chapitre XVIII en quel ordre il faut dire ces psaumes
On dit d'abord le verset : Deus in adjutorium meum initende, Domine ad adjuvandum me festina, et le Gloria, puis l'hymne propre à chaque Heure.
A Prime, le dimanche, On dit quatre divisions du psaume cent dix-huit, et aux Heures suivantes, Tierce, Sexte et None, trois autres divisions du même psaume cent dix-huit.
A Prime de la seconde férie, on dit trois psaumes, le premier, le deuxième et le sixième ; et ainsi chaque jour jusqu'au dimanche, on dira à Prime trois psaumes de suite jusqu'au dix-neuvième, en prenant soin toutefois de partager en deux le neuvième et le dix-septième. Il résulte de là que les Vigiles du dimanche commencent toujours par le vingtième.
A Tierce, Sexte et None de la seconde férie, on emploiera les neuf divisions qui restent du psaume cent dix-huit, trois pour chacune de ces Heures.
Le psaume cent dix-huit se trouve ainsi distribué en deux jours, le dimanche et la seconde férie. A partir de la troisième férie, on psalmodiera aux heures de Tierce, Sexte et None, trois psaumes allant du cent dix-neuvième au cent vingt-septième, au total neuf psaumes, lesquels se répéteront aux mêmes Heures tous les jours jusqu'au dimanche,  la disposition des hymnes, leçons, versets, restant d'ailleurs invariable toute la semaine,  et chaque dimanche on recommencera cette série de psaumes par le cent dix-huitième.
A Vêpres, on chante tous les jours quatre psaumes, que l'on prendra en série depuis le cent neuvième jusqu'au cent quarante-septième, exception faite de ceux qui sont réservés pour d'autres Heures, savoir de cent dix-sept à cent vingt-sept, cent trente-trois et cent quarante-deux. Les autres psaumes de cette suite seront tous assignés aux Vêpres, mais comme il en est trois de moins, il faudra diviser les plus longs, savoir, les psaumes cent trente-huit, cent quarante-trois et cent quarante-quatre. Le cent seizième, qui est très court, s'ajoutera au cent quinzième.
La distribution des psaumes de Vêpres étant ainsi arrêtée, les autres éléments de l'Office, savoir les leçon, répons, hymne, verset, cantique, s'ordonnent de la manière établie ci-dessus.
A Complies, on répète chaque jour les mêmes psaumes : quatre, quatre-vingt-dix et cent trente-trois.
Telle est la répartition de la psalmodie au cours de la journée. Tout ce qui reste dupsautier se distribue en parts égales dans les sept Vigiles nocturnes, en prenant soin de diviser les psaumes les plus longs, et d'en compter douze par nuit.
Cette distribution des psaumes peut ne pas être agréée de tout le monde. Si l'on en trouve une meilleure, qu'on en dispose autrement. Qu'il nous soit permis toutefois d'insister pour qu'on veille en tout état de cause à  s'acquitter intégralement chaque semaine du chant du psautier de cent cinquante psaumes, et à en reprendre la série à partir des Vigiles du dimanche. Pour des moines, ce serait vraiment faire preuve de beaucoup de nonchalance dans le service qu'ils ont voué à Dieu, que de ne pas chanter, au cours de toute une semaine, le psautier complet avec les cantiques d'usage, alors que nous lisons de nos saints Pères qu'ils remplissaient vaillamment ce devoir en un seul jour. Nous qui n'avons pas une égale ferveur, sachons du moins mener à bonne fin la même tâche dans l'espace d'une semaine entière.
Chapitre XIX de l’attitude à garder pendant la psalmodie
Nous savons par la foi que Dieu est partout présent et qu'en tout lieu les yeux du Seigneur observent bons et méchants mais il n'est pas de moment où nous devions en avoir une plus ferme assurance, que lorsque nous assistons à l'Office Divin  Aussi aurons-nous toujours en la mémoire la parole du Prophète : "Servez le Seigneur dans la crainte" et  "Chantez les psaumes avec une fervente attention."  "Je vous louerai, dit-il encore, en présence des Anges." Ne perdons jamais de vue avec qu'elle dignité il faut nous comporter en présence de Dieu et des Anges, et quand nous nous tenons debout à la psalmodie sachons mettre notre âme d'accord avec notre voix.
Chapitre XX de la révérence à observer pendant la prière
Si, voulant solliciter quelque faveur des puissants de ce monde, nous n'osons les aborder qu'avec humilité et révérence, à combien plus forte raison, nous adressant au Seigneur Dieu, maître de l'Univers, devons-nous lui présenter nos supplications en toute humilité et conscience de notre intégrale appartenance à Lui. Ce n'est d'ailleurs pas en multipliant les formules, mais seulement par la pureté d'intention et les larmes de la componction qu'on est sûr d'être exaucé. L'oraison, dès lors, sera plutôt brève, afin de rester pure, à moins qu'un sentiment né de la grâce divine ne nous inspire de la prolonger. Toutefois, en communauté la prière sera toujours très courte, et, au signal du supérieur, tous se lèveront en même temps.


    Ce son perpétuel est à l’image de la musique du monde telle que la concevaient les penseurs médiévaux, cette musique des sphères que j’ai évoquées à deux reprises. A travers la récitation des psaumes, celui qui pris mets son corps en accord avec l’harmonie du monde que Dieu a créé.
Le mouvement perpétuel tout autour des secrets divins, la chaleur, la profondeur, l’ardeur bouillonnante d’une constante révolution qui ne connaît ni relâche ni déclinaison, le pouvoir d’élever efficacement à leur ressemblance leurs inférieurs en les animant de la même ardeur, de la même flamme et de la même chaleur, le pouvoir de purifier par la foudre et par le feu, l’évidente et indestructible aptitude à conserver identiques et leur propre lumière et leur pouvoir d'illumination, la faculté de rejeter et d'abolir toute ténèbre obscurcissante, telles sont les propriétés des séraphins telles qu'elles ressortent de leur nom même.5

    Il réalise ainsi le nouveau cantique Lévitique, prenant sa place autour du créateur pour chanter ses louanges.
Puis voici que l’Agneau apparut à mes yeux ; il se tenait sur le mont Sion, avec cent quarante quatre milliers de gens portant inscrit sur le front son nom et le nom de son père. Et j’entendis un bruit venant du ciel, comme le mugissement des grandes eaux ou le grondement d’un orage violent, et ce bruit me faisait songer à des joueurs de harpe touchant de leurs instruments ; ils chantent un cantique nouveau devant le trônre et les quatre Vivants et les Vieillards. Et nul ne pouvait apprendre le cantique, hormis les cent quarante-quatre milliers, les rachetés de la terre.6

    Les psaumes sont copiés dans des psautiers qui les répartissent sur les offices de la journée selon qu’ils sont destinés aux moines, les réguliers, ou aux prêtres, les séculiers.
    Le psaume est une prière, ce n’est pas une lecture. Elle prend place à la messe d'aujourd’hui, entre la lecture d’un texte de l’ancien testament et celle d’un texte du nouveau testament.
2.1.2 Manières de réaliser les psaumes.

    Les premières réunions chrétiennes s’organisaient autour de trois moments :
Une lecture, une psalmodie chanté, une oraison. Prédication et lecture constituent l’essentiel d’une liturgie où un chantre soliste lit et où l’assemblé écoute. (…) O, lit les écritures, on « chante » les psaumes, on prononce une homélie.7 »

    Les textes de l’époque utilisent souvent le mot « dire » pour désigner l’acte de faire les psaumes, les hymnes et les antiennes. Ce qui semble signifier que dire, c’est chanter, et renvoie aux fonctions du chantre, parfois lecteur et parfois chanteur. En effet, la méthode de chant grégorien de 1942 nous dit que :
Le chant grégorien est très expressément de la parole chantée, car il est d’abord le resplendissement de la vérité exprimé dans les paroles. Il importe donc avant tout, sous peine de le priver d’une partie de son efficacité spirituelle en même temps que de son charme artistique, d’observer les principes élémentaires qui président à une belle émission des sons vocaux et à une bonne diction des paroles. (…) [Il est] le perfectionnement musical du latin bien déclamé8.

    La manière de chanter les psaumes était, très probablement la cantilation primitive, dite psalmodie directe où les versets sont énoncés avec le même dessin « musicale ». Cette cantillation est encore utilisé aujourd’hui, notamment pendant le Carême.
    La psalmodie se fait sur l’un des huit tons de l’octoéchos, les « gammes » de l’époque.
    La méthode de chant grégorien de Dom L. David9 distingue cinq moments dans la mélodie d’un ton psalmodique :
1. L’Intonation, ou formule d’introduction
2. La Teneur, ou corde de récitation
3. La Flexe, ou fléchissement vocal dans une teneur trop longue
4. La Médiante, ou cadence provisoire au milieu du verset
5. La Finale ou terminaison, cadence marquant la fin du verset.

    Ce découpage est à rapprocher de l’héritage de la science du discours, l’éloquence, telle que la pratiquait, et l’enseignait, St Augustin. L’éloquence chrétienne doit instruire, on utilisera alors un style humble, charmer, le style sera moyen, et convaincre, on usera alors d’un style sublime. L’objet de l’instruction chrétienne est d’acquérir le savoir chrétien. Ce savoir, c’est la connaissance et l’étude du livre. Aussi, faut-il apprendre à lire correctement, apprendre à ponctuer et apprendre à dire à voix haute et intelligible.
L’art oratoire est lui aussi découpé en cinq :
L’invention
La disposition
L’élocution
L’action
La mémorisation

    Le discours, lui, cours sur six étapes : l’exorde, la narration, la division, l’argumentation, la digression et la péroraison.
    Saint Augustin précise qu’il convient de chanter ce qui doit se chanter et de réciter ce qui doit se réciter :
[II] Soyez assidus aux prières (20), aux heures et aux temps fixés. Puisque l'oratoire est par définition un lieu de prière, qu'on n'y fasse pas autre chose. Si l'un ou l'autre, en dehors des heures fixées, veut profiter de son loisir pour y prier, qu'il n'en soit pas empêché par ce qu'on y prétendait faire.
Quand vous priez Dieu avec des psaumes et des hymnes (21), portez dans votre coeur ce que profèrent vos lèvres (22). Ne chantez que ce qui est prescrit; ce qui n'est pas indiqué pour être chanté ne doit pas être chanté.


    On distingue deux manières de réaliser les psaumes.
    La réalisation directe hérite de la cantilation primitive, quand la différence entre lecture et chant du psaume n’était pas encore bien distincte et où la même personne assurait la fonction de lecteur et de chanteur. Ce type de psalmodie se retrouve dans les versets des Vêpres ou pendant le Carême.
    La psalmodie responsoriale qui comprend le répons et l’antienne. Elle apparaît au 4e siècle, après l’édit de Milan qui octroi la liberté de culte et a pour conséquence la structuration de l’Eglise primitive en paroisse.
    Ces deux formes sont proches. Elles se distinguent par la répartition des rôles. Dans l’une comme dans l’autre, un verset est choisi pour des raisons de sens et est placé en tête du chant. Ce verset est le répons ou l’antienne, selon la forme.
    Dans la forme du répons, l’assemblé chante ce verset et le soliste chante le psaume.
Chant de l’église milanaise, « Tui sunt celi et terra », plage 2
Version par l’ensemble Organum dirigé par Marcel Péres. L’ensemble s’inspire ici des coutumes de l’orient, Athènes et Antioche, pour réaliser le chant. Bien sur, ceci est une proposition. En aucun cas on peut dire « voici comment on chantait les psaumes à Milan au 5e Siècle.

    Dans la forme de l’antienne, le verset est chanté au début et à la fin du psaume. Tous chantent.
2.1.3 Le monachisme

    Le monachisme est un événement historique d’une richesse incroyable. Il tire probablement son origine des pratiques religieuses de l’Egypte antique et ce n’est sans doute pas un hasard si c’est dans cette région que les premières formes de monachismes chrétiens sont apparues.
    Le monachisme se développe principalement à partir du Vème siècle.
    Au sein des communautés monastiques émerge peu à peu la Schola, le groupe de ceux qui chantent. La psalmodie à deux chœurs, ou antiphonie, se généralise de fait.
    L’assemblée des moines est hiérarchisé par la connaissance que ceux-ci ont des psaumes. Il y a les analphabètes, ceux qui savent lire et enfin ceux qui savent le psautier.

2.2. Le grégorien et la renaissance carolingienne

2.2.1. Grégoire le Grand

    Disons, de manière provocante, que du grégorien, nous ne savons rien. Sinon que le pape Grégoire n’en a quasiment écrit ni une note ni un mot… Ce n’est qu’en 847 que l’écrivain religieux Jean Diacre lui attribue l’invention de la liturgie grégorienne.
    Le grégorien, c’est un chant en langue latine, monodique et qui résulte de la compilation faite par le pape Grégoire. Né en 540, c’est un romain d’ascendance noble. Il se retire dans des domaines à St André selon la règle bénédictine. Le pape de l’époque l’en fait sortir pour le faire devenir diacre. Après avoir été ambassadeur à Constantinople, il est proclamé pape par acclamation, à la manière de certains des derniers empereurs romains, le pape porte avec lui le prestige du souvenir de l’empire.
    L’oeuvre initié par le pape Grégoire étant une compilation, on peut donc avancer qu’une première période de création est révolue. Désormais, vient le moment du choix au sein d’un répertoire qui existe et qu’il s’agit d’unifier..
2.2.2. La réforme carolingienne

    En 753, le pape Etienne II voit ses terres menacées par les Lombards. Il demande alors de l’aide à Pépin le bref. Pépin voit là l’occasion rêvée de recevoir la bénédiction papale et de profiter, du même coup, du prestige romain.
    En décembre de la même année, le pape et le roi se rencontrent, et une alliance se noue. On assiste alors à une première réforme et un grand mouvement  culturel entre Rome et la Gaule.
    La liturgie gallicane, alors en vigueur, est révisée au profit du rite romain et de son ordo. La conséquence de ce qui semble être un geste d’allégeance de Pépin envers le pape est une unification du royaume par une unification des cultes.
    En 760, le second chantre de la Schola de Rome, Siméon, de Rome va à la rencontre de Rémi, évêque de Rouen.
    Une lettre du pape Paul 1er (757-787) confirme les échanges de chantres entre Rome et la Gaule.
    Charlemagne succède à Pépin. Il perpétue l’œuvre de son père dans le domaine liturgique.
    Au IXeme siècle, c’est la ville de Metz qui devient le centre musical de l’empire carolingien. Au point que Notker écrira :
Présentement, dans les pays où l’on emploie la langue latine, on dit chant messin pour chant d’église.

    Pour qualifier le chant de cette époque, on parle de chant romano-franc.

2.3. La réforme protestante, galerie de portraits

    Nous faisons un saut historique de plusieurs siècles… Nous quittons le IX siècle pour le XVI siècle… Les croisades sont passées depuis longtemps. Un certain nombre de personnalité vont marquer cette période, en voici quelques unes.
    Gutenberg (env. 1400-1468) met au point le procédé de la typographie en 1440. Il publie la première Bible imprimée, dite Bible « à quarante-deux lignes » en 1455.
    Luther (1483-1546) est un moine augustin, docteur en théologie. Il enseigne l’écriture sainte à partir de 1513 à l’université de Wittenberg. En 1517, il publie ses 97 thèses contre les indulgences papales, considéré comme le point de départ de la réforme. Il traduit la Bible entre 1521 et 1534.
    Calvin (1509-1564) est un partisan des idées de Luther. Il se réfugie à Genève à partir de 1541. Il publie l’institution de la religion chrétienne en 1536 qui affirme la souveraineté de Dieu seul maître du salut de l’homme et la prédestination de ce dernier.
    C’est le point de départ du protestantisme. De nombreux artistes étaient protestant et ceux ci ont constitué un répertoire passionnant autour de la musique des psaumes qui reflète très bien l’évolution de la musique et sa progressive prise d’autonomie par rapport au texte.
    Le poète Clément Marot (1496-1544) traduit les psaumes en français. Différents compositeurs vont s’emparer de cette œuvre et la mettre en musique.
Clément Janequin, env. 1485-1558.
    Il fréquente l’Université où il étudie en même temps qu’il est nommé curé à Unverre et est installé à Paris. Il fait paraître un premier livre contenant 28 psaumes en 1549, les proverbes de Salomon en 1558 et 82 psaumes de David en 1559. Janequin est un musicien catholique, mais il est très intéressé par les formes musicales que la réforme suscite.
Pierre Certon, 1505-1572.
    Il est maître des enfants de chœur de la Sainte Chapelle en 1536, chapelain perpétuel en 1545 ? C’est le premier à harmoniser les 150 psaumes. Il y a trois éditions de ce travail ; deux éditions vocales : une première édition de 31 psaumes en 1545 et une seconde édition de 50 psaumes en 1555, une édition instrumentale avec 13 tablatures pour luth réalisé par Morlay en 1554. Les recueils sont imprimés par Pierre Atteignant.
Loys Bourgeois, 1510-1561.
    En 1547, il fait publier à Lyon Pseaulmes Cinquante de David, Roy et Prophète, traduictz en vers françois par Clément Marot, à quatre parties, à voix de contrepoint égal consonnate au verbe.
    On trouve aussi cette édition : Le premier Livre de pseaulmes de David, contenant 24 pseaumes en diversité de musique, composé par Loys Bourgeois, à scavoir, familière ou vaudeville ; aultres plus musicales ; et aultres à voix pareilles, bien convenables aux instruments, 1547, avec privilège du Roy pour 5 ans.
Claude Lejeune, 1530-1600.
    Il fait un mixage des différents styles d’écriture, celle verticale et celle horizontale. Il se lie très vite d’amitié avec ceux qui deviendront en 1571 l’Académie de Poésie et de Musique. En 1595, il compositeur de la chambre du roi. En 1564, paraissent les 10 psaumes de David nouvellement composez à 4 parties en forme de motet et en 1606, peu de temps après sa mort, paraissent les psaumes en vers mesuré à l’antique sur des textes de Claude Baïf et Agrippa d’Aubigné. Entre 1902 et 1610 paraissent les Pseaumes de David mis en musique à trois parties. Si la musique et le texte dialoguent toujours, il est « évident » que désormais, il ne s’agit plus seulement d’une prière en musique, mais bien d’un morceau de musique qui peut « servir » à prier. La musique religieuse est l’objet des spéculations musicales, cela avait déjà été le cas auparavant, mais en parler nous aurait entraîné hors de notre propos.

3. Aujourd’hui, un héritage culturel
    En 1971, le pape Paul VI parlait en ces termes :
D’autres textes et d’autres musiques, tout en n’aspirant pas à franchir le seuil du Temple, peuvent sans doute satisfaire les goûts modernes, spécialement ceux de la jeunesse. Ils peuvent être utilisés dans d’autres occasions, comme une joyeuse détente de l’esprit, lors de rencontre, de réflexion et d’étude, pour appuyer par le chant les décisions et les vœux. Mais dans la liturgie, « exercice de la fonction sacerdotale du Christ Prêtre et de son Corps qui est l’Eglise, action sacrée par excellence », il convient de pratiquer ce qui répond le plus à son caractère propre et sublime. Voilà pourquoi où doit s’exercer le sens de l’Eglise qui doit guider votre jugement et votre choix.

    Les musiques d’Arnold Schoenberg ( 1874-1951) ou d’Igor Stravinsky (1882-1971), ne sont pas des musiques « de jeunes », elles aspirent à bien plus, à toucher à ce que l’homme a d’universel et en cela, elles ne participent pas à une certaine forme d’aliénation, de « massification » quand la pratique de la musique est démagogique et vise une satisfaction immédiate, tout de suite, et médiatisé par les lieux communs.
    La musique de Stravinsky ne cherche pas à passer le seuil du temple, c’est une musique de concert et qui, pour le compositeur, n’exprime rien d’autre qu’elle-même, une musique qui n’exprime rien d’autre que de la musique. Quand il compose la symphonie de psaumes en 1930, il n’a pas pour but d’instruire des fidèles ou de participer à une prière. La dédicace à Dieu sur la partition est un acte individuel, pas la prière d’une communauté qu’est le chant du psaume. C’est une symphonie avant d’être des psaumes mis en musique, et une symphonie de psaumes. Il s’agit de faire sonner ensemble (syn-phonia) des psaumes différents au cours de trois mouvements, le psaume 39, le 40 et le 150.


Publié dans Réflexions

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